À 35 ans, Julia Zarankin s’est découvert une passion qui, 10 ans plus tard, l’étonne encore : l’ornithologie. Alors que sa vie personnelle bat de l’aile, elle se retrouve sur la rive du lac Ontario en compagnie d’un groupe d’amoureux des oiseaux. « Je les trouvais ridicules avec leurs jumelles, leurs vestes pleines de poches et leurs chapeaux », confie-t-elle.
Mais Julia a besoin de se changer les idées. Alors elle se met, elle aussi, en quête de bêtes ailées. Première sortie, première déception. « Pendant deux heures, je n’ai rien aperçu, même si les autres participants en repéraient à la dizaine », dit-elle.
L’histoire aurait pu se terminer là. Or, sur le chemin du retour, elle aperçoit un carouge à épaulettes, avec son plumage noir et ses ailes ornées de deux taches rouges. « La beauté de cet oiseau m’a hantée pendant des semaines. J’ai réalisé qu’il existait tout un monde aviaire autour de moi. » C’est la naissance d’une ferveur qui ne cessera de grandir.
Aujourd’hui, Julia Zarankin ne sort plus de son appartement sans ses jumelles. Son obsession l’a inspirée à écrire son premier livre, Field Notes From An Unintentional Birder (traduction libre : Notes de terrain d’une ornithologue improbable), publié en septembre 2020 aux éditions Douglas & McIntyre, où elle raconte son amour inattendu pour la faune ailée. « Mes parents n’avaient d’intérêt que pour les arts et les musées. Je n’aurais jamais pensé qu’un jour, j’allais vivre pour les oiseaux », explique la Torontoise dans un français impeccable.
Et elle est loin d’être la seule. Ouste, le préjugé voulant que la vénération des beautés à plumes soit réservée aux retraités en chapeau kaki ! Dans la communauté des birders du Québec, on remarque depuis quelques années un engouement sans précédent, qui touche toutes les générations. C’est encore plus vrai depuis le début de la pandémie.
À preuve, des commerces ont même eu des pénuries de nourriture pour oiseaux l’an dernier, selon Marie-Hélène Hachey, coordonnatrice des programmes de science participative au Regroupement QuébecOiseaux.
Au Québec, l’application eBird, le Spotify de l’ornithologie, a connu un bond de fréquentation de 20 % entre mars 2020 et mars 2021. Dans le premier trimestre de 2021, la hausse a explosé de 46 % par rapport à l’année précédente. Même chose du côté de Nature Expert de Montréal, boutique spécialisée en produits d’ornithologie, qui confirme une invasion massive de néophytes.
C’est que, reclus dans leur maison, les confinés ont commencé à s’intéresser à ce qui se passait dans leur cour. Sittelles, pics-bois, mésanges et roselins ont volé la vedette. « Beaucoup de gens pensent qu’il y a plus d’oiseaux qu’à l’habitude en raison du confinement. Or, ils étaient là auparavant. C’est simplement qu’on leur prête plus attention maintenant », constate Marie-Hélène Hachey, qui est tombée sous leur charme il y a une vingtaine d’années.
Le coup de foudre pour les volatiles a même entraîné des problèmes de surachalandage aux sites d’observation les plus populaires. Un hibou des marais a créé une cohue monstre à la réserve naturelle de faune du Cap-Tourmente en mars dernier !
Pour sa part, Louise Falcon a craqué pour la gent ailée il y a 18 ans, après avoir suivi un cours d’initiation au Club d’ornithologie de Longueuil (COL). Pour cette retraitée du domaine des ressources humaines de 61 ans, c’est un monde qui mène à une multitude de découvertes. « En apprenant sur les oiseaux, on réalise toutes les interconnexions entre les milieux naturels. Ça nous lie à notre planète », lance celle qui siège maintenant au conseil d’administration du COL.
Et c’est accessible à tous. « La beauté de cette activité, c’est qu’elle se pratique de mille et une manières, de façon intense ou zen. Chacun y trouve son compte », dit-elle.
Il faut dire que l’ornithologie a pris son envol bien avant la crise de la COVID-19 grâce, entre autres, aux réseaux sociaux. « Il existe des centaines de groupes Facebook qui échangent sur les bêtes à plumes. Dès qu’un oiseau rare fait son apparition dans le voisinage, toute la communauté le sait », souligne Marie-Hélène Hachey.
Les applications mobiles changent aussi la donne. Ces outils permettent d’avoir toutes les informations nécessaires à l’identification des spécimens au bout des doigts. « Et en détectant automatiquement votre position géographique et le jour de votre observation, ces guides virtuels sélectionnent uniquement les espèces que vous aurez la chance de rencontrer », précise Marie-Hélène Hachey. Ainsi, l’apprentissage s’accélère.
Autre facteur expliquant cet amour pour les parulines, cardinaux et chardonnerets : l’essor de la photographie numérique. Désormais, n’importe qui – ou presque– peut publier de superbes clichés sur Instagram grâce à des appareils toujours plus performants et abordables.
Pourquoi s’en priver ? Observer les oiseaux aurait même des vertus thérapeutiques. C’est du moins ce que croit dur comme fer Julia Zarankin, qui affirme qu’elle n’aurait pas traversé la crise sanitaire actuelle sans séquelles si ce n’était son activité préférée. « Lorsqu’on est à leur recherche, on vit dans l’instant présent. On oublie complètement ses petits problèmes. Le stress disparaît », soutient-elle. Avis aux intéressées : le remède aux tensions causées par la pandémie vole peut-être… dans notre cour arrière.
L’ABC de l’ornithologie
Marie-Hélène Hachey, du Regroupement QuébecOiseaux, partage ses tuyaux pour qu’on puisse se familiariser avec les oiseaux.
Installer une mangeoire dans sa cour ou sur son balcon
C’est la meilleure façon de les attirer plus près de soi et de commencer à les identifier.
Se munir de jumelles
Une bonne paire coûte de 200 $ à 300 $.
Se joindre à un groupe
Il est possible d’en apprendre plus sur cette activité au contact d’autres amateurs en adhérant à un club d’ornithologie – il en existe 32 au Québec – ou à un groupe Facebook d’ornithologues locaux.
Bien se documenter
Avec un guide papier ou une application gratuite comme eBird (liste d’observation) ou Merlin (outil d’identification). Ainsi, avec le temps, on sera en mesure de reconnaître ses nouveaux amis.
Où observer les oiseaux ?
Voici des endroits faciles d’accès où les volatiles se donnent en spectacle.
Parc-nature de la Pointe-aux-Prairies, Montréal
On met le cap sur l’est de la métropole et on découvre cet espace vert, l’un des plus sous-estimé de l’île. Les ornithologues s’installent surtout dans le secteur des Marais, en raison de la diversité de ses écosystèmes. On y admire une grande quantité de palmipèdes, dont le magnifique canard d’Amérique, et une foison de pics.
Île Saint-Bernard, Châteauguay
À la confluence de la rivière Châteauguay et du fleuve Saint-Laurent se trouve l’un des milieux naturels les mieux conservés de l’archipel d’Hochelaga. En plus de ses milieux humides que fréquentent canards et échassiers, comme le grand héron et le petit blongios, ce bout de terre compte aussi de vastes prairies où virevoltent le goglu, le tyran tritri, le merlebleu et d’autres espèces.
Parc de la Frayère, Boucherville
Situé en bordure du fleuve Saint-Laurent, cet espace naturel de 48 hectares – dont 40 sont constitués de milieux humides – possède une diversité aviaire parmi les plus riches du Québec. Deux plateformes spécialement aménagées pour les ornithologues facilitent les observations. Le canard pilet et le hibou des marais font partie des vedettes des lieux.
Réserve nationale de faune du Cap-Tourmente, Saint-Joachim
En plus d’accueillir des oies des neiges par milliers à l’automne, ce territoire naturel situé sur la rive nord du Saint-Laurent abrite une faune ailée extrêmement diversifiée toute l’année. Là-bas, une dizaine d’espèces d’oiseaux de proie planent sans cesse au-dessus de nos têtes, dont le busard Saint-Martin et le faucon pèlerin.
Domaine de Maizerets, Québec
Surnommé le Central Park de Québec, ce parc du quartier Limoilou est une oasis de verdure au cœur de la ville.Les gens de Québec en font leur terrain de jeu et la gent ailée, son habitat. Plus de 200 espèces d’oiseaux y ont été observées. C’est un site remarquable pour zieuter les hiboux, notamment.
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